Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/135

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disais au sujet du livre de Proudhon, ce fut le peuple entier qui signa les œuvres. L’architecture et la sculpture furent des arts nationaux qui exprimèrent l’âme de Égypte, ses croyances et ses mœurs. Aussi après quatre mille ans, y a-t-il encore une saveur particulière et pénétrante dans ces blocs de granit qui vivent de la vie d’une nation morte aujourd’hui. Ce marbre vit, tout raide et monstrueux qu’il soit ; il vit, parce que, à un moment, il a été la pensée d’une foule, la parole d’un peuple. On prétend que certaines lois hiératiques imposaient des formes réglementaires aux ouvriers du temps ; ce doit être vrai, car la maigreur et la raideur sont évidemment voulues ; certaines parties offrent trop de délicatesse pour faire supposer que ce sont là des fautes d’ignorance et d’inhabilité. D’ailleurs, l’attitude sèche et émaciée de ces marbres concourt sans doute à l’étrange impression qu’ils nous causent aujourd’hui ; ils sont là, graves, mystérieux, éternellement raides et muets, et nous sentons, dans leur silence et leur pose hautaine et impénétrable, toute une civilisation morte, toute une foi disparue.

L’Égypte philosophique et religieuse est encore plus voilée, plus inconnue. Comme toujours, je crains d’être dupe, je n’ose croire à ces prêtres égyptiens qui, dans le silence de leurs temples, avaient trouvé, dit-on, le secret de toutes choses, et qui sont morts ensuite, emportant la vérité avec eux. La vérité ne s’emporte pas comme cela. J’aime à croire que nous avons retrouvé toutes les vérités que les anciens