Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/218

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amour de la force se trouve aussi amplement indiqué ; il est dans l’amitié qu’il témoigne aux grands chênes, dans son admiration profonde pour les vieilles Pyrénées ; il est encore dans le choix des anecdotes qu’il raconte, anecdotes des mœurs cruelles et libres d’un autre âge. L’œuvre a une saveur étrange : elle est forte et tourmentée. Ce n’est plus là un récit de voyage, c’est un homme, un artiste qui nous conte ses tressaillements en face de l’Océan et des montagnes. Certaines pages, Vie et opinions philosophiques d’un chat, m’ont toujours fait désirer de voir M. Taine écrire des nouvelles, des contes ; il me semble que son imagination, sa touche sobre et éclatante feraient merveilles dans les travaux de pure fantaisie. N’a-t-il pas quelque roman en portefeuille ?

L’Histoire de la littérature anglaise compte quatre gros volumes. Le cadre s’agrandit, le sujet devient plus large, mais l’esprit reste le même, l’artiste ne change pas. Ici encore, la main qui a élevé la charpente, disposé les détails, construit la masse à chaux et à sable, est cette main systématique et prodigue à la fois, frappant fort. L’Histoire de la littérature anglaise est d’ailleurs l’œuvre maîtresse de M. Taine ; toutes celles qui ont précédé ont tendu vers elle, et toutes celles qui viendront en découleront sans doute. Elle contient la personnalité entière de l’auteur, sa pensée unique dans son application la plus exacte ; elle est le fruit mûr et pleinement développé du mathématicien et du poète, elle est l’expression complète d’un tempérament et d’un système. M. Taine se ré-