Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/217

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chesses de grand seigneur. Il est inégal et heurté sciemment. Il est le produit direct de ce mathématicien et de ce poète qui ne font qu’un. Les répétitions importent peu ; la phrase marche fortement, insoucieuse de la grâce et de la régularité ; çà et là, il y a des trous noirs. Les descriptions, les citations abondent, unies entre elles par de petites phrases sèches. On sent que l’auteur a voulu tout cela, qu’il est maître de sa plume, qu’il sait l’effet produit. On est en présence d’un artiste qui, connaissant les plus minces secrets de son art, se permet toutes choses et se donne entier, sans jamais atténuer sa personnalité. Il écrit comme il pense, en peintre et en philosophe, sobrement et à outrance.

Je citerai deux de ses œuvres pour me faire mieux comprendre. Il en est une, le Voyage aux Pyrénées, qui sous la plume de tout autre aurait été une suite de lettres écrites un peu à l’aventure, une relation libre et courante. Ici, nous avons des divisions exactes, nettement indiquées, de petits chapitres coupés avec une précision mathématique. Et chacun de ces casiers, que l’on pourrait numéroter, contient un paysage splendide, ou une observation profonde, ou encore une vieille légende de sang et de carnage. L’auteur a rangé méthodiquement tout ce que sa riche imagination lui a inspiré de plus exquis et de plus grandiose en face des vaux et des monts. Il est resté systématique jusque dans l’émotion que lui ont causée les horizons terribles ou charmants. Là est l’empreinte d’un des caractères de son esprit. Son