Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/247

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donnons à leurs actes des mobiles plus élevés que ceux d’un père administrant les biens de sa famille. J’aime cette bonhomie et cette franchise. Les grandes figures de l’histoire ne peuvent que gagner à nous être livrées dans leur entier, corps et âme ; si le type est moins pur, il est plus vivant ; si l’histoire y perd en solennité, elle y gagne certainement en vérité et en intérêt.

L’autre école historique est tout opposée ; elle vit du détail, de l’étude psychologique et physiologique, elle tente de nous rendre les hommes et les événements avec les vives couleurs de la réalité, l’esprit du temps, les vêtements et les mœurs. Quand elle nous donne un héros, elle s’inquiète autant de ses passions que de ses pensées, elle explique ses actes par son cœur et par son intelligence ; elle le dresse devant nous dans sa vérité, comme un homme et non comme un dieu. C’est une sorte de réalisme appliqué à l’histoire ; c’est l’observation patiente de l’individu, la reproduction exacte de tout son être, l’explication franche de son influence sur les affaires de ce monde. Le héros de la légende perd sa hauteur merveilleuse ; il n’est plus qu’une créature de chair et d’os, bâtie comme nous, ayant nos instincts, mise seulement à même d’étendre sa personnalité sur un large théâtre. Le spectacle d’un empereur est plus curieux pour un philosophe que le spectacle d’un pauvre diable, en ceci seulement que plus un homme est puissant, plus la volonté se développe en lui, plus il étale au grand jour la nature humaine dans ses grandeurs et dans ses misères.