Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/258

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entre les mains. Ici, tout est fatal ; les crises de démence se succèdent à des époques irrégulières ; les gouvernements suivent les gouvernements sans aucun ordre, les institutions tombent les unes sur les autres, bonnes et mauvaises ; en un mot, les nations ne gravissent pas une échelle de perfection, elles marchent au hasard, aujourd’hui libres, demain muselées, obéissant à la fatalité des faits.

Cependant l’auteur, par instants, parle de la marche des événements ; il dit que César comprenait les besoins nouveaux de Rome, et que ce fut justement cette intuition qui lui donna la toute-puissance. Il accorde donc que l’humanité s’avance à travers les âges vers un but quelconque. Mais il ne laisse pas même entrevoir quel est ce but. Pour moi, j’aime à m’imaginer que ce but est un but de liberté et de justice, de paix et de vérité. Dès lors, je ne puis plus comprendre que César ait été dans les décrets de Dieu ; il est venu faire rétrograder l’humanité, porter le dernier coup à cette république romaine qui a été l’expression d’un des états sociaux les plus parfaits. L’Empire, qui a succédé, n’en a eu ni les vertus ni la tranquille grandeur. Ainsi, en admettant, comme l’auteur, que César soit l’envoyé de Dieu, voilà Dieu qui fait reculer ses enfants, qui les retarde dans la route qu’ils suivent, qui les châtie d’une faute inconnue en les faisant tomber sous la volonté d’un seul. De deux choses l’une : ou l’auteur ne croit pas au progrès, à la marche lente des peuples, et alors il explique l’histoire par coups de foudre, il ne voit en