Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/26

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Je l’ai dit, il y a mauvaise foi et chantage dans les œuvres ; il y a encore quelque chose de pis à mes yeux : un manque de talent complet, un entassement ridicule de sottises et de puérilités, d’horreurs comiques et de plaisanteries lugubres. Imaginez des volumes lourds et mal agencés, faits de conversations plates et interminables, de dissertations historiques ou philosophiques coupées maladroitement dans quelque vieil ouvrage ; imaginez des épisodes niais, une intrigue invraisemblable qu’un élève de troisième ne commettrait pas. Il sort des pages une senteur épaisse de médiocrité. L’abbé***, chaque fois qu’il commence une œuvre nouvelle, toujours la même d’ailleurs, prend pour thème une des vieilles accusations adressées au catholicisme ; il invente péniblement un conte à dormir debout, mêle la thèse religieuse à ce conte avec une inhabileté remarquable et habille le tout de sa prose. Le produit est une œuvre bête, sans aucune élévation, dont la partie artistique ressemble aux anciennes histoires de Ducray-Duminil, la bonhomie en moins, et dont la partie de discussion religieuse n’est que le commentaire banal des grivoiseries qui traînent chez tous les marchands de vin libres penseurs. Le dégoût vous monte aux lèvres à la lecture de ces romans pataugeant en pleine fange, aussi vulgaires par la forme que par la pensée, et destinés à contenter les appétits grossiers de la foule. C’est à croire que l’auteur a voulu tant de bassesse et tant de vulgarité : il aura écrit en vue d’un certain public et lui aura servi les ragoûts épicés et nauséabonds