Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/274

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rables, on place à la porte du sanctuaire un corps de garde, une sorte d’octroi de l’idéal, chargé de sonder les paquets et d’expulser toute marchandise frauduleuse qui tenterait de s’introduire dans le temple.

Qu’on me permette une comparaison, un peu hasardée peut-être. Imaginez que le Salon est un immense ragoût artistique, qui nous est servi tous les ans. Chaque peintre, chaque sculpteur envoie son morceau. Or, comme nous avons l’estomac délicat, on a cru prudent de nommer toute une troupe de cuisiniers pour accommoder ces victuailles de goûts et d’aspects si divers. On a craint les indigestions, et on a dit aux gardiens de la santé publique :

« Voici les éléments d’un mets excellent ; ménagez le poivre, car le poivre échauffe ; mettez de l’eau dans le vin, car la France est une grande nation qui ne peut perdre la tête. »

Il me semble, dès lors, que les cuisiniers jouent le grand rôle. Puisqu’on nous assaisonne notre admiration et qu’on nous mâche nos opinions, nous avons le droit de nous occuper avant tout de ces hommes complaisants qui veulent bien veiller à ce que nous ne nous gorgions pas comme des gloutons d’une nourriture de mauvaise qualité. Quand vous mangez un beefsteak, est-ce que vous vous inquiétez du bœuf ? Vous ne songez qu’à remercier ou à maudire le marmiton qui vous le sert trop ou pas assez saignant.

Il est donc bien entendu que le Salon n’est pas l’expression entière et complète de l’art français en l’an de grâce 1866, mais qu’il est à coup sûr une sorte de