Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ragoût préparé et fricassé par vingt-huit cuisiniers nommés tout exprès pour cette besogne délicate.

Un salon, de nos jours, n’est pas l’œuvre des artistes, il est l’œuvre d’un jury. Donc, je m’occupe avant tout du jury, l’auteur de ces longues salles froides et blafardes dans lesquelles s’étalent, sous la lumière crue, toutes les médiocrités timides et toutes les réputations volées.

Naguère, c’était l’Académie des beaux-arts qui passait le tablier blanc et qui mettait la main à la pâte. À cette époque, le Salon était un mets gras et solide, toujours le même. On savait à l’avance quel courage il fallait apporter pour avaler ces morceaux classiques, ces boulettes épaisses, mollement arrondies, et qui vous étouffaient lentement et sûrement.

La vieille Académie, cuisinière de fondation, avait ses recettes à elle, dont elle ne s’écartait jamais ; elle s’arrangeait de façon, quels que fussent les tempéraments et les époques, à servir le même plat au public. Le bon public, qui étouffait, finit par se plaindre ; il demanda grâce, il voulut qu’on lui servît des mets plus relevés, plus légers, plus appétissants au goût et à la vue.

Vous vous rappelez les lamentations de cette vieille cuisinière d’Académie. On lui enlevait la casserole dans laquelle elle avait fait sauter deux ou trois générations d’artistes. On la laissa geindre et on confia la queue de la poêle à d’autres gâte-sauce.