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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/314

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chair. C’est ici un tempérament inutile, une rencontre malheureuse, si l’on veut. Certes, je préfère cette puissance fausse, cette individualité de contrebande, aux désolantes gentillesses dont j’aurai à parler. Mais tout au fond de moi, j’entends une voix qui me crie : « Prends garde ! celui-là est perfide ; il paraît énergique et vrai ; va jusqu’aux moelles, tu trouveras le mensonge et le néant. »

Le réalisme, pour bien des personnes, — pour M. Vollon, par exemple, — consiste dans le choix d’un sujet vulgaire. Cette année, M. Vollon a été réaliste, en représentant une servante dans sa cuisine. La bonne grosse fille revient du marché, et a déposé à terre ses provisions. Elle est vêtue d’une jupe rouge et s’appuie au mur, montrant ses bras hâlés et sa figure épaisse.

Moi, je ne vois rien de réel là dedans, car cette servante est en bois, et elle est si bien collée au mur, que rien ne pourrait l’en détacher. Les objets se comportent autrement dans la nature, sous la large lumière. Les cuisines sont pleines d’air d’habitude, et chaque chose n’y prend pas ainsi une couleur cuite et rissolée. Puis, dans les intérieurs, les oppositions, les taches sont vigoureuses, bien qu’adoucies, tout ne s’en vient pas sur un même plan. La vérité est plus brutale, plus énergique que cela.

Peignez des roses, mais peignez-les vivantes, si vous vous dites réaliste.