Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/328

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m’importe si vous ne voulez pas guérir. Je sais maintenant où est la blessure.

Je ne prenais qu’un médiocre plaisir à tourmenter les gens. Je sentais toute ma dureté envers des artistes qui travaillent et qui ont acquis, à grand’peine, une réputation fragile que le moindre heurt briserait. Lorsque je faisais mon examen de conscience, je m’accusais vertement de troubler dans leur quiétude d’excellents hommes qui paraissent s’être imposé le labeur pénible de contenter tout le monde.

J’abandonne volontiers les notes que je suis allé prendre sur M. Fromentin et sur M. Nazon, sur M. Dubuffe et sur M. Gérome. J’avais toute une campagne en tête, je m’étais plu à aiguiser mes armes pour les rendre plus tranchantes. Et je vous jure que c’est avec une volupté intime que je jette là toute ma ferraille.

Je ne parlerai point de M. Fromentin et de la sauce épicée dont il assaisonne la peinture. Ce peintre nous a donné un Orient qui, par un rare prodige, a de la couleur sans avoir de la lumière. Je sais d’ailleurs que M. Fromentin est le dieu du jour ; je m’évite la peine de lui demander des arbres et des cieux plus vivants, et surtout de réclamer de lui une saine et forte originalité, au lieu de ce faux tempérament de coloriste qui rappelle Delacroix comme les devants de cheminée rappellent les toiles de Véronèse.

Je n’aurai aucune querelle à chercher à M. Nazon et aux décors en carton qu’il nous donne pour de vraies campagnes ; ne vous semble-t-il pas, — entre