Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/34

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sation. Ce que je ne saurais supporter, ce qui m’irrite, c’est qu’il force à vivre dans cette cité endormie des hommes qui refusent énergiquement la paix et l’effacement qu’il leur offre. Il est si simple de ne pas les recevoir, de les faire disparaître. Mais, pour l’amour de Dieu, ne leur faites pas la leçon ; surtout ne vous amusez pas à les pétrir d’une autre fange que celle dont Dieu les a formés, pour le simple plaisir de les créer une seconde fois tels que vous les désirez.

Tout le livre de Proudhon est là. C’est une seconde création, un meurtre et un enfantement. Il accepte l’artiste dans sa ville, mais l’artiste qu’il imagine, l’artiste dont il a besoin et qu’il crée tranquillement en pleine théorie. Son livre est vigoureusement pensé, il a une logique écrasante ; seulement toutes les définitions, tous les axiomes sont faux. C’est une colossale erreur déduite avec une force de raisonnement qu’on ne devrait jamais mettre qu’au service de la vérité.

Sa définition de l’art, habilement amenée et habilement exploitée, est celle-ci : Une représentation idéaliste de la nature et de nous-mêmes, en vue du perfectionnement physique et moral de notre espèce. Cette définition est bien de l’homme pratique dont je parlais tantôt, qui veut que les roses se mangent en salade. Elle serait banale entre les mains de tout autre, mais Proudhon ne rit pas lorsqu’il s’agit du perfectionnement physique et moral de notre espèce. Il se sert de sa définition pour nier le passé et pour rêver un avenir terrible. L’art perfectionne, je le veux bien, mais il perfectionne à sa manière, en contentant