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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/357

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et elle en est revenue à l’observation exacte des faits. Et ce mouvement ne s’est pas seulement produit dans l’ordre scientifique ; toutes les connaissances, toutes les œuvres humaines tendent à chercher dans la réalité des principes fermes et définitifs. Nos paysagistes modernes l’emportent de beaucoup sur nos peintres d’histoire et de genre, parce qu’ils ont étudié nos campagnes, en se contentant de traduire le premier coin de forêt venu. Édouard Manet applique la même méthode à chacune de ses œuvres ; tandis que d’autres se creusent la tête pour inventer une nouvelle Mort de César ou un nouveau Socrate buvant la ciguë, il place tranquillement dans un coin de son atelier quelques objets et quelques personnes, et se met à peindre, en analysant le tout avec soin. Je le répète, c’est un simple analyste ; sa besogne a bien plus d’intérêt que les plagiats de ses confrères ; l’art lui-même tend ainsi vers une certitude ; l’artiste est un interprète de ce qui est, et ses œuvres ont pour moi le grand mérite d’une description précise faite en une langue originale et humaine.

On lui a reproché d’imiter les maîtres espagnols. J’accorde qu’il y ait quelque ressemblance entre ses premières œuvres et celles de ces maîtres : on est toujours fils de quelqu’un. Mais, dès son Déjeuner sur l’herbe, il me paraît affirmer nettement cette personnalité que j’ai essayé d’expliquer et de commenter brièvement. La vérité est peut-être que le public, en lui voyant peindre des scènes et des costumes d’Espagne, aura décidé qu’il prenait ses modèles au delà