Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/380

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jouets qu’elle aime, dorés et ornés de faveurs roses. L’art est ainsi devenu chez nous une vaste boutique de confiserie, où il y a des bonbons pour tous les goûts. Les peintres n’ont plus été que des décorateurs mesquins qui travaillent à l’ornementation de nos affreux appartements modernes ; les meilleurs d’entre eux se sont faits antiquaires, ont volé un peu de sa manière à quelque grand maître mort, et il n’y a guère que les paysagistes, que les analystes de la nature qui soient demeurés de véritables créateurs. Ce peuple de décorateurs étroits et bourgeois fait un bruit de tous les diables ; chacun d’eux a sa maigre théorie, chacun d’eux cherche à plaire et à vaincre. La foule adulée va de l’un à l’autre, s’amusant aujourd’hui aux mièvreries de celui-là, pour passer demain aux fausses énergies de celui-ci. Et ce petit commerce honteux, ces flatteries et ces admirations de pacotille se font au nom des prétendues lois sacrées de l’art. Pour une bonne femme en pain d’épices, on met la Grèce et l’Italie en jeu, on parle du beau comme d’un monsieur que l’on connaîtrait et dont on serait l’ami respectueux.

Puis, viennent les critiques d’art qui jettent encore du trouble dans ce tumulte. Les critiques d’art sont des mélodistes qui tous, à la même heure, jouent leurs airs à la fois, n’entendant chacun que leur instrument dans l’effroyable charivari qu’ils produisent. L’un veut de la couleur, l’autre du dessin, un troisième de la morale. Je pourrais nommer celui qui soigne sa phrase et qui se contente de tirer de chaque