Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/43

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disciples trop zélés et des chercheurs d’avenir ont pu égarer le maître ; il y a, d’ailleurs, toujours un peu de bizarrerie et d’étrange aveuglement chez les hommes d’un tempérament entier ; mais avouez que si Courbet prêche, il prêche dans le désert, et que s’il mérite notre admiration, il la mérite seulement par la façon énergique dont il a saisi et rendu la nature.

Je voudrais être juste, ne pas me laisser tenter par une raillerie vraiment trop aisée. J’accorde que certaines toiles du peintre peuvent paraître avoir des intentions satiriques. L’artiste peint les scènes ordinaires de la vie, et, par là même, il nous fait, si l’on veut, songer à nous et à notre époque. Ce n’est là qu’un simple résultat de son talent qui se trouve porté à chercher et à rendre la vérité. Mais faire consister tout son mérite dans ce seul fait qu’il a traité des sujets contemporains, c’est donner une étrange idée de l’art aux jeunes artistes que l’on veut élever pour le bonheur du genre humain.

Vous voulez rendre la peinture utile et l’employer au perfectionnement de l’espèce. Je veux bien que Courbet perfectionne, mais alors je me demande dans quel rapport et avec quelle efficacité il perfectionne. Franchement, il entasserait tableau sur tableau, vous empliriez le monde de ses toiles et des toiles de ses élèves, l’humanité serait tout aussi vicieuse dans dix ans qu’aujourd’hui. Mille années de peinture, de peinture faite dans votre goût, ne vaudraient pas une de ces pensées que la plume écrit nettement et que l’intelligence retient à jamais, telles que : Connais-toi