Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/44

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toi-même, Aimez-vous les uns les autres, etc. Comment ! vous avez l’écriture, vous avez la parole, vous pouvez dire tout ce que vous voulez, et vous allez vous adresser à l’art des lignes et des couleurs pour enseigner et instruire. Eh ! par pitié, rappelez-vous que nous ne sommes pas tout raison. Si vous êtes pratique, laissez au philosophe le droit de nous donner des leçons, laissez au peintre le droit de nous donner des émotions. Je ne crois pas que vous deviez exiger de l’artiste qu’il enseigne, et, en tout cas, je nie formellement l’action d’un tableau sur les mœurs de la foule.

Mon Courbet, à moi, est simplement une personnalité. Le peintre a commencé par imiter les Flamands et certains maîtres de la Renaissance. Mais sa nature se révoltait et il se sentait entraîné par toute sa chair – par toute sa chair, entendez-vous – vers le monde matériel qui l’entourait, les femmes grasses et les hommes puissants, les campagnes plantureuses et largement fécondes. Trapu et vigoureux, il avait l’âpre désir de serrer entre ses bras la nature vraie ; il voulait peindre en pleine viande et en plein terreau.

Alors s’est produit l’artiste que l’on nous donne aujourd’hui comme un moraliste. Proudhon le dit lui-même, les peintres ne savent pas toujours bien au juste quelle est leur valeur et d’où leur vient cette valeur. Si Courbet, que l’on prétend très orgueilleux, tire son orgueil des leçons qu’il pense nous donner, je suis tenté de le renvoyer à l’école. Qu’il le sache, il n’est rien qu’un pauvre grand homme bien ignorant,