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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/90

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Les uns s’attaqueront au genre lui-même, prononceront avec force soupirs le mot réalisme et croiront du coup avoir foudroyé les auteurs. Les autres, gens plus avancés et plus hardis, ne se plaindront que de l'excès de la vérité, et demanderont pourquoi descendre si bas. D’autres, enfin, condamneront le livre, l’accusant d’avoir été écrit à un point de vue purement médical et de n’être que le récit d’un cas d’hystérie.

Je ne sais si je dois prendre la peine de répondre aux premiers. Ce que l’on se plaît encore à appeler réalisme, l’étude patiente de la réalité, l’ensemble obtenu par l’observation des détails, a produit des œuvres si remarquables, dans ces derniers temps, que le procès devrait être jugé aujourd’hui. Eh oui ! bonnes gens, l’artiste a le droit de fouiller en pleine nature humaine, de ne rien voiler du cadavre humain, de s’intéresser à nos plus petites particularités, de peindre les horizons dans leurs minuties et de les mettre de moitié dans nos joies et dans nos douleurs.

Par grâce, laissez-le créer comme bon lui semble ; il ne vous donnera jamais la création telle qu’elle est ; il vous la donnera toujours vue à travers son tempérament. Que lui demandez-vous donc, je vous prie ? Qu’il obéisse à des règles, et non à sa nature, qu’il soit un autre, et non lui ? Mais cela est absurde. Vous tuez de gaieté de cœur l’initiative créatrice, vous mettez des bornes à l’intelligence, et vous n’en connaissez pas les limites. Il est si facile pourtant de ne pas s’embarrasser de tout ce bagage de restrictions et de convenances. Acceptez chaque œuvre comme