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LES ROUGON-MACQUART.

traversaient le hall, de ce pas abandonné des femmes que le soleil tourmente.

Comme Denise descendait, Favier mètrait justement une robe de soie légère, à pois roses, pour madame Boutarel, débarquée la veille du midi. Depuis le commencement du mois, les départements donnaient, on ne voyait guère que des dames fagottées, des châles jaunes, des jupes vertes, le déballage en masse de la province. Les commis, indifférents, ne riaient même plus. Favier accompagna madame Boutarel à la mercerie, et quand il reparut, il dit à Hutin :

— Hier toutes auvergnates, aujourd’hui toutes provençales… J’en ai mal à la tête.

Mais Hutin se précipita, c’était son tour, et il avait reconnu « la jolie dame », cette blonde adorable que le rayon désignait ainsi, ne sachant rien d’elle, pas même son nom. Tous lui souriaient, il ne se passait point de semaine sans qu’elle entrât au Bonheur, toujours seule. Cette fois, elle avait avec elle un petit garçon de quatre ou cinq ans. On en causa.

— Elle est donc mariée ? demanda Favier, lorsque Hutin revint de la caisse, où il avait fait débiter trente mètres de satin duchesse.

— Possible, répondit ce dernier, quoique ça ne prouve rien, ce mioche. Il pourrait être à une amie… Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle doit avoir pleuré. Oh ! une tristesse, et des yeux rouges !

Un silence régna. Les deux vendeurs regardaient vaguement dans les lointains du magasin. Puis, Favier reprit d’une voix lente :

— Si elle est mariée, son mari lui a peut-être bien allongé des gifles.

— Possible, répéta Hutin, à moins que ce ne soit un amant qui l’ait plantée là.

Et il conclut, après un nouveau silence :