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LES ROUGON-MACQUART.

Madame Baudu n’ajouta rien. Sans doute elle avait deviné les tortures jalouses de Geneviève ; mais elle n’osa les confier à son mari. Une singulière pudeur de femme l’avait toujours empêchée d’aborder avec lui certains sujets de tendresse délicate. Quand il la vit muette, il tourna sa colère contre les gens d’en face, il tendait les poings dans le vide, du côté du chantier, où l’on posait, cette nuit-là, des charpentes de fer, à grands coups de marteau.

Denise allait rentrer au Bonheur des Dames. Elle avait compris que les Robineau, forcés de restreindre leur personnel, ne savaient comment la congédier. Pour tenir encore, il leur fallait tout faire par eux-mêmes ; Gaujean, obstiné dans sa rancune, allongeait les crédits, promettait même de leur trouver des fonds ; mais la peur les prenait, ils voulaient tenter de l’économie et de l’ordre. Pendant quinze jours, Denise les sentit gênés avec elle ; et elle dut parler la première, dire qu’elle avait une place autre part. Ce fut un soulagement, madame Robineau l’embrassa, très émue, en jurant qu’elle la regretterait toujours. Puis, lorsque, sur une question, la jeune fille répondit qu’elle retournait chez Mouret, Robineau devint pâle.

— Vous avez raison ! cria-t-il violemment.

Il était moins facile d’annoncer la nouvelle au vieux Bourras. Pourtant, Denise devait lui donner congé, et elle tremblait, car elle lui gardait une vive reconnaissance. Bourras, justement, ne décolérait plus, en plein dans le vacarme du chantier voisin. Les voitures de matériaux barraient sa boutique ; les pioches tapaient dans ses murs ; tout, chez lui, les parapluies et les cannes, dansait au bruit des marteaux. Il semblait que la masure, s’entêtant au milieu de ces démolitions, allait se fendre. Mais le pis était que l’architecte, pour relier les rayons existants du magasin, avec les rayons qu’on installait