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AU BONHEUR DES DAMES.

revue le linge de son petit monde. Cependant, madame Marty semblait agitée d’une sourde inquiétude. La situation de M. Marty était menacée au lycée Bonaparte, à la suite de leçons données par le pauvre homme, dans des institutions louches, où se faisait tout un négoce sur les diplômes de bachelier ; il battait monnaie comme il pouvait, fiévreusement, pour suffire aux rages de dépense qui saccageaient son ménage ; et elle, en le voyant pleurer un soir, devant la crainte d’un renvoi, avait eu l’idée d’employer son amie Henriette auprès d’un directeur du ministère de l’Instruction publique, que celle-ci connaissait. Henriette finit par la tranquilliser d’un mot. Du reste, M. Marty allait venir lui-même connaître son sort et apporter ses remerciements.

— Vous avez l’air indisposé, monsieur Mouret, fit remarquer madame de Boves.

— Le travail ! répéta Vallagnosc avec son flegme ironique.

Mouret s’était levé vivement, en homme désolé de s’oublier ainsi. Il prit sa place habituelle au milieu de ces dames, il retrouva toute sa grâce. Les nouveautés d’hiver l’occupaient, il parla d’un arrivage considérable de dentelles ; et madame de Boves le questionna sur le prix du point d’Alençon : elle en achèterait peut-être. Maintenant, elle se trouvait réduite à économiser les trente sous d’une voiture, elle rentrait malade de s’être arrêtée devant les étalages. Drapée dans un manteau qui datait déjà de deux ans, elle essayait en rêve sur ses épaules de reine toutes les étoffes chères qu’elle voyait ; puis, c’était comme si on les lui arrachait de la peau, quand elle s’éveillait vêtue de ses robes retapées, sans espoir de jamais satisfaire sa passion.

— Monsieur le baron Hartmann, annonça le domestique.

Henriette remarqua de quelle heureuse poignée de