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AU BONHEUR DES DAMES.

d’un coup contre l’étalage de Mouret ; et, malgré son effarement, la femme se réveillant en elle, les joues subitement rouges, elle s’oubliait à regarder flamber l’incendie des soies.

— Tiens ? dit crûment Hutin à l’oreille de Favier, la grue de la place Gaillon.

Mouret, tout en affectant d’écouter Bourdoncle et Robineau, était flatté au fond du saisissement de cette fille pauvre, de même qu’une marquise est remuée par le désir brutal d’un charretier qui passe. Mais Denise avait levé les yeux, et elle se troubla davantage, quand elle reconnut le jeune homme qu’elle prenait pour un chef de rayon. Elle s’imagina qu’il la regardait avec sévérité. Alors, ne sachant plus comment s’éloigner, égarée tout à fait, elle s’adressa une fois encore au premier commis venu, à Favier qui se trouvait près d’elle.

— Madame Aurélie, s’il vous plaît ?

Favier, désagréable, se contenta de répondre de sa voix sèche :

— À l’entresol.

Et Denise, ayant hâte de n’être plus sous les regards de tous ces hommes, disait merci et tournait de nouveau le dos à l’escalier, lorsque Hutin céda naturellement à son instinct de galanterie. Il l’avait traitée de grue, et ce fut de son air aimable de beau vendeur qu’il l’arrêta.

— Non, par ici, mademoiselle… Si vous voulez bien vous donner la peine…

Même il fit quelques pas devant elle, la conduisit au pied de l’escalier, qui se trouvait à la gauche du hall. Là, il inclina la tête, il lui sourit, du sourire qu’il avait pour toutes les femmes.

— En haut, tournez à gauche… Les confections sont en face.

Cette politesse caressante remuait profondément Denise. C’était comme un secours fraternel qui lui arrivait.