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LES ROUGON-MACQUART.

Elle avait levé les yeux, elle contemplait Hutin, et tout en lui la touchait, le joli visage, le regard dont le sourire dissipait sa crainte, la voix qui lui semblait d’une douceur consolante. Son cœur se gonfla de gratitude, elle donna son amitié, dans les quelques paroles décousues que l’émotion lui permit de balbutier.

— Vous êtes trop bon… Ne vous dérangez pas… Merci mille fois, monsieur.

Déjà Hutin rejoignait Favier, auquel il disait tout bas, de sa voix crue :

— Hein ? quelle désossée !

En haut, la jeune fille tomba droit dans le rayon des confections. C’était une vaste pièce, entourée de hautes armoires en chêne sculpté, et dont les glaces sans tain donnaient sur la rue de la Michodière. Cinq ou six femmes, vêtues de robes de soie, très coquettes avec leurs chignons frisés et leurs crinolines rejetées en arrière, s’y agitaient en causant. Une, grande et mince, la tête trop longue, ayant une allure de cheval échappé, s’était adossée à une armoire, comme brisée déjà de fatigue.

— Madame Aurélie ? répéta Denise.

La vendeuse la regarda sans répondre, d’un air de dédain pour sa mise pauvre, puis s’adressant à une de ses camarades, petite, d’une mauvaise chair blanche, avec une mine innocente et dégoûtée, elle demanda :

— Mademoiselle Vadon, savez-vous où est la première ?

Celle-là, qui était en train de ranger des rotondes par ordre de taille, ne prit même pas la peine de lever la tête.

— Non, mademoiselle Prunaire, je n’en sais rien, dit-elle du bout des lèvres.

Un silence se fit. Denise restait immobile, et personne ne s’occupait plus d’elle. Pourtant, après avoir attendu un