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LES ROUGON-MACQUART.

profil ; et puis, elle s’en va, et on ne la rencontrera jamais, jamais plus… 

À ce moment, Fagerolles cria :

— Dis donc, Gagnière, qu’est-ce que tu envoies au Salon, cette année ?  

Il n’entendit pas, il poursuivait, extasié :

— Dans Schumann, il y a tout, c’est l’infini… Et Wagner qu’ils ont encore sifflé dimanche !  

Mais un nouvel appel de Fagerolles le fit sursauter.

— Hein ? quoi ? ce que j’enverrai au Salon ?… Un petit paysage peut-être, un coin de Seine. C’est si difficile, il faut avant tout que je sois content. 

Il était redevenu brusquement timide et inquiet. Ses scrupules de conscience artistique le tenaient pendant des mois sur une toile grande comme la main. À la suite des paysagistes français, ces maîtres qui ont les premiers conquis la nature, il se préoccupait de la justesse du ton, de l’exacte observation des valeurs, en théoricien dont l’honnêteté finissait par alourdir la main. Et, souvent, il n’osait plus risquer une note vibrante, d’une tristesse grise qui étonnait, au milieu de sa passion révolutionnaire.

— Moi, dit Mahoudeau, je me régale à l’idée de les faire loucher, avec ma bonne femme. 

Claude haussa les épaules.

— Oh ! toi, tu seras reçu : les sculpteurs sont plus larges que les peintres. Et, du reste, tu sais très bien ton affaire, tu as dans les doigts quelque chose qui plaît… Elle sera pleine de jolies choses, ta Vendangeuse. 

Ce compliment laissa Mahoudeau sérieux, car il posait pour la force, il s’ignorait et méprisait la grâce, une grâce invincible qui repoussait quand même de ses gros doigts d’ouvrier sans éducation, comme une