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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/101

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L’ŒUVRE.

vous les connaissez, des cuisses qui la disent jusqu’au fond, cette enragée noceuse-là !

Il se renversa sur le lit, où il se trouvait ; et, les yeux en l’air, il continua d’une voix ardente :

— Ah ! la vie, la vie ! la sentir et la rendre dans sa réalité, l’aimer pour elle, y voir la seule beauté vraie, éternelle et changeante, ne pas avoir l’idée bête de l’anoblir en la châtrant, comprendre que les prétendues laideurs ne sont que les saillies des caractères, et faire vivre, et faire des hommes, la seule façon d’être Dieu !  

Sa foi revenait, la course à travers Paris l’avait fouetté, il était repris de sa passion de la chair vivante. On l’écoutait en silence. Il eut un geste fou, puis il se calma.

— Mon Dieu ! chacun ses idées ; mais l’embêtant, c’est qu’ils sont encore plus intolérants que nous à l’Institut… Le jury du Salon est à eux, je suis sûr que cet idiot de Mazel va me refuser mon tableau. 

Et, là-dessus, tous partirent en imprécations, car cette question du jury était un éternel sujet de colère. On exigeait des réformes, chacun avait une solution prête, depuis le suffrage universel appliqué à l’élection d’un jury largement libéral, jusqu’à la liberté entière, le Salon libre pour tous les exposants.

Devant la fenêtre ouverte, pendant que les autres discutaient, Gagnière avait attiré Mahoudeau, et il murmurait d’une voix éteinte, les regards perdus dans la nuit :

— Oh ! ce n’est rien, vois-tu, quatre mesures, une impression jetée. Mais ce qu’il y a là-dedans !… Pour moi, d’abord, c’est un paysage qui fuit, un coin de route mélancolique, avec l’ombre d’un arbre qu’on ne voit pas ; et puis, une femme passe, à peine un