Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
L’ŒUVRE.

La pensée de le revoir, repoussée d’abord, longtemps combattue ensuite, avait ainsi tourné en elle à l’idée fixe. Chaque soir, la tentation la reprenait dans la solitude de sa chambre, un malaise dont elle s’irritait, un désir ignoré d’elle-même ; et elle ne s’était apaisée un peu qu’en s’expliquant ce trouble par son besoin de reconnaissance. Elle était si seule, si étouffée, dans cette demeure somnolente ! le flot de sa jeunesse bouillonnait si fort, son cœur avait une si grosse envie d’amitié !

— Alors, continua-t-elle, j’ai profité de ma première sortie… Et puis, il faisait tellement beau, ce matin, après toutes ces averses maussades !  

Claude, heureux, debout devant elle, se confessa lui aussi, mais sans avoir rien à cacher.

— Moi, je n’osais plus songer à vous… N’est-ce pas ? vous êtes comme ces fées des contes qui sortent du plancher et qui rentrent dans les murs, toujours au moment où l’on ne s’y attend pas. Je me disais : C’est fini, ce n’est peut-être pas vrai, qu’elle a traversé cet atelier… Et vous voilà, et ça me fait un plaisir, oh ! un fier plaisir !  

Souriante et gênée, Christine tournait la tête, affectait maintenant de regarder autour d’elle. Son sourire disparut, la peinture féroce qu’elle retrouvait là, les flamboyantes esquisses du Midi, l’anatomie terriblement exacte des études, la glaçaient comme la première fois. Elle fut reprise d’une véritable crainte, elle dit, sérieuse, la voix changée :

— Je vous dérange, je m’en vais.

— Mais non ! mais non ! cria Claude en l’empêchant de quitter sa chaise. Je m’abrutissais au travail, ça me fait du bien de causer avec vous… Ah ! ce sacré tableau, il me torture assez déjà !