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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/138

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LES ROUGON-MACQUART.

coup cette façon de peindre, mais commençait à répéter des mots d’artiste, déclarait ça « vigoureux, crânement bâti, bien dans la lumière. » Il lui semblait si bon, elle l’aimait tant, qu’après l’avoir excusé de barbouiller de pareilles horreurs, elle en venait à leur découvrir des qualités, pour les aimer aussi un peu.

Cependant, il était un tableau, le grand, celui du prochain Salon, qu’elle fut longue à accepter. Déjà elle regardait sans déplaisir les académies de l’atelier Boutin et les études de Plassans, qu’elle s’irritait encore contre la femme nue, couchée dans l’herbe. C’était une rancune personnelle, la honte d’avoir cru un instant se reconnaître, une sourde gêne en face de ce grand corps, qui continuait à la blesser, bien qu’elle y retrouvât de moins en moins ses traits. D’abord, elle avait protesté en détournant les yeux. Maintenant, elle restait des minutes entières, les regards fixes, dans une contemplation muette. Comment donc sa ressemblance avait-elle disparu ainsi ? À mesure que le peintre s’acharnait, jamais content, revenant cent fois sur le même morceau, cette ressemblance s’évanouissait un peu chaque fois. Et, sans qu’elle pût analyser cela, sans qu’elle osât même se l’avouer ; elle dont la pudeur s’était révoltée le premier jour, elle éprouvait un chagrin croissant à voir que rien d’elle ne demeurait plus. Leur amitié lui paraissait en pâtir, elle se sentait moins près de lui, à chaque trait qui s’effaçait. Ne l’aimait-il pas, qu’il la laissait ainsi sortir de son œuvre ? et quelle était cette femme nouvelle, cette face inconnue et vague qui perçait sous la sienne ?

Claude, désolé d’avoir gâté la tête, ne savait justement de quelle manière lui demander quelques