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L’ŒUVRE.

heures de pose. Elle se serait simplement assise, il n’aurait pris que des indications. Mais il l’avait vue si fâchée, qu’il craignait de l’irriter encore. Après s’être promis de la supplier gaiement, il ne trouvait pas les mots, tout d’un coup honteux, comme s’il se fût agi d’une inconvenance.

Une après-midi, il la bouleversa par un de ses accès de colère, dont il n’était pas le maître, même devant elle. Rien n’avait marché, cette semaine-là. Il parlait de gratter sa toile, il se promenait furieusement, en lâchant des ruades dans les meubles. Tout d’un coup, il la saisit par les épaules et la posa sur le divan.

— Je vous en prie, rendez-moi ce service, ou j’en crève, parole d’honneur !

Effarée, elle ne comprenait pas.

— Quoi, que voulez-vous ?  

Puis, lorsqu’elle le vit prendre ses brosses, elle ajouta étourdiment :

— Ah ! oui… pourquoi ne me l’avez-vous pas demandé plus tôt ?

D’elle-même, elle se renversa sur un coussin, elle glissa le bras sous la nuque. Mais une surprise et une confusion d’avoir consenti si vite, l’avaient rendue grave ; car elle ne se savait pas décidée à cette chose, elle aurait bien juré que jamais plus elle ne lui servirait de modèle.

Ravi, il cria :

— Vrai ! vous consentez !… Nom d’un chien ! la sacrée bonne femme que je vais bâtir avec vous !

De nouveau, sans réfléchir, elle dit :

— Oh ! la tête seulement !  

Et lui, bredouilla, dans une hâte d’homme qui craint d’être allé trop loin :