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L’ŒUVRE.

— Dites, n’est-ce pas, en face, un de vos amis qui vous cherche ?  

C’était Dubuche, qu’elle connaissait, pour l’avoir rencontré une fois au café Baudequin. Il fendait péniblement la foule, les yeux vagues sur le flot des têtes. Mais, tout d’un coup, au moment où Claude tâchait de se faire voir, en gesticulant, l’autre lui tourna le dos et salua très bas un groupe de trois personnes, le père gras et court, la face cuite d’un sang trop chaud, la mère très maigre, couleur de cire, mangée d’anémie, la fille si chétive à dix-huit ans, qu’elle avait encore la pauvreté grêle de la première enfance.

— Bon ! murmura le peintre, le voilà pincé… A-t-il de laides connaissances, cet animal-là ! Où a-t-il pêché ces horreurs ?  

Gagnière, paisiblement, dit les connaître de nom. Le père Margaillan était un gros entrepreneur de maçonnerie, déjà cinq ou six fois millionnaire, et qui faisait sa fortune dans les grands travaux de Paris, bâtissant à lui seul des boulevards entiers. Sans doute Dubuche s’était trouvé en rapport avec lui, par un des architectes dont il redressait les plans.

Mais Sandoz, que la maigreur de la jeune fille apitoyait, la jugea d’un mot.

— Ah ! le pauvre petit chat écorché ! Quelle tristesse !

— Laisse donc ! déclara Claude avec férocité, ils ont sur la face tous les crimes de la bourgeoisie, ils suent la scrofule et la bêtise. C’est bien fait… Tiens ! notre lâcheur file avec eux. Est-ce assez plat, un architecte ? Bon voyage, qu’il nous retrouve !  

Dubuche, qui n’avait pas aperçu ses amis, venait d’offrir son bras à la mère et s’en allait, en expliquant les tableaux, le geste débordant d’une complaisance exagérée.