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LES ROUGON-MACQUART.

dra guère, dit Claude en redescendant vers Bennecourt. Ils gâtent le paysage, ces monstres !  

Mais, dès le milieu d’août, un gros événement changea leur vie : Christine était enceinte, et elle ne s’en apercevait qu’au troisième mois, dans son insouciance d’amoureuse. Ce fut d’abord une stupeur pour elle et pour lui, jamais ils n’avaient songé que cela pût arriver. Puis, ils se raisonnèrent, sans joie pourtant, lui troublé de ce petit être qui allait venir compliquer l’existence, elle saisie d’une angoisse qu’elle ne s’expliquait pas, comme si elle eût craint que cet accident-là ne fût la fin de leur grand amour. Elle pleura longtemps à son cou, il tâchait vainement de la consoler, étranglé de la même tristesse sans nom. Plus tard, quand ils se furent habitués, ils s’attendrirent sur le pauvre petit, qu’ils avaient fait sans le vouloir, le jour tragique où elle s’était livrée à lui, dans les larmes, sous le crépuscule navré qui noyait l’atelier : les dates y étaient, ce serait l’enfant de la souffrance et de la pitié, souffleté à sa conception du rire bête des foules. Et, dès lors, comme ils n’étaient pas méchants, ils l’attendirent, le souhaitèrent même, s’occupant déjà de lui et préparant tout pour sa venue.

L’hiver eut des froids terribles, Christine fut retenue par un gros rhume dans la maison mal close, qu’on ne parvenait pas à chauffer. Sa grossesse lui causait de fréquents malaises, elle restait accroupie, devant le feu, elle était obligée de se fâcher, pour que Claude sortît sans elle, fît de longues marches sur la terre gelée et sonore des routes. Et lui, pendant ces promenades, en se retrouvant seul après des mois de continuelle existence à deux, s’étonnait de la façon dont avait tourné sa vie, en dehors de sa