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LES ROUGON-MACQUART.

l’horizon, la ville d’hiver avec son gaz qui flambait dès cinq heures, ses réunions d’amis se fouettant d’émulation, sa vie de production ardente que même les glaces de décembre ne ralentissaient pas. En un mois, il s’y rendit à trois reprises, sous le prétexte de voir Malgras, auquel il avait encore vendu quelques petites toiles. Maintenant, il n’évitait plus de passer devant l’auberge des Faucheur, il se laissait même arrêter par le Poirette, acceptait un verre de vin blanc ; et ses regards fouillaient la salle, comme s’il eût cherché, malgré la saison, des camarades d’autrefois, tombés là du matin. Il s’attardait, dans l’attente ; puis, désespéré de solitude, il rentrait, étouffant de tout ce qui bouillonnait en lui, malade de n’avoir personne pour crier ce dont éclatait son crâne.

L’hiver s’écoula pourtant, et Claude eut la consolation de peindre quelques beaux effets de neige. Une troisième année commençait, lorsque, dans les derniers jours de mai, une rencontre inattendue l’émotionna. Il était, ce matin-là, monté sur le plateau, pour chercher un motif, les bords de la Seine ayant fini par le lasser ; et il resta stupide, au détour d’un chemin, devant Dubuche qui s’avançait entre deux haies de sureau, coiffé d’un chapeau noir, pincé correctement dans sa redingote.

— Comment ! c’est toi !  

L’architecte bégaya de contrariété.

— Oui, je vais faire une visite… Hein ? c’est joliment bête, à la campagne ! Mais, que veux-tu ? on est forcé à des ménagements… Et toi, tu habites par ici ? Je le savais… C’est-à-dire, non ! on m’avait bien appris quelque chose comme ça, mais je croyais que c’était de l’autre côté, plus loin.