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L’ŒUVRE.

l’herbe, parut vouloir entrer dans la terre, riant, plaisantant.

— Ah ! bonne terre, prends-moi, toi qui es la mère commune, l’unique source de la vie ! toi l’éternelle, l’immortelle, où circule l’âme du monde, cette sève épandue jusque dans les pierres, et qui fait des arbres nos grands frères immobiles !… Oui, je veux me perdre en toi, c’est toi que je sens là, sous mes membres, m’étreignant et m’enflammant, c’est toi seule qui seras dans mon œuvre comme la force première, le moyen et le but, l’arche immense, où toutes les choses s’animent du souffle de tous les êtres !  

Mais, commencée en blague, avec l’enflure de son emphase lyrique, cette invocation s’acheva en un cri de conviction ardente, que faisait trembler une émotion profonde de poète ; et ses yeux se mouillèrent ; et, pour cacher cet attendrissement, il ajouta d’une voix brutale, avec un vaste geste qui embrassait l’horizon :

— Est-ce bête, une âme à chacun de nous, quand il y a cette grande âme !  

Claude n’avait pas bougé, disparu au fond de l’herbe. Après un nouveau silence, il conclut :

— Ça y est, mon vieux ! crève-les tous !… Mais tu vas te faire assommer.

— Oh ! dit Sandoz qui se leva et s’étira, j’ai les os trop durs. Ils se casseront les poignets… Rentrons, je ne veux pas manquer le train. 

Christine s’était prise pour lui d’une vive amitié, en le voyant droit et robuste dans la vie ; et elle osa enfin lui demander un service, celui d’être le parrain de Jacques. Sans doute, elle ne mettait plus les pieds à l’église ; mais à quoi bon laisser ce gamin en