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LES ROUGON-MACQUART.

idée de son fonds paysan ! Lorsqu’il a eu mangé son dernier sou, sans arriver à gagner avec la peinture la fortune attendue, il s’est lancé dans le négoce, un petit négoce qui devait lui permettre d’achever ses études. Hein ? très fort, le bonhomme ! et tu vas voir son plan : il se faisait envoyer de l’huile d’olive de Saint-Firmin, son village, puis il battait le pavé, il plaçait l’huile dans les riches familles provençales, qui ont des positions à Paris. Malheureusement, ça n’a pas duré, il est trop rustre, il s’est fait mettre à la porte de partout… Alors, mon vieux, comme il reste une jarre d’huile dont personne ne veut, ma foi ! nous vivons dessus. Oui, les jours où nous avons du pain, nous trempons notre pain dedans.

Et il montra la jarre, dans un coin de la boutique. L’huile avait coulé, la muraille et le sol étaient noirs de larges taches grasses.

Claude cessa de rire. Ah ! cette misère, quel découragement ! comment en vouloir à ceux qu’elle écrase ? Il se promenait par l’atelier, ne se fâchait plus contre les maquettes aveulies de concessions, tolérait l’affreux buste lui-même. Et il tomba ainsi sur une copie que Chaîne avait faite au Louvre, un Mantegna, rendu avec une sécheresse d’exactitude extraordinaire.

— L’animal ! murmura-t-il, c’est presque ça, jamais il n’a fait mieux… Peut-être n’a-t-il que le tort d’être né quatre siècles trop tard.

Puis la chaleur devenant forte, il ôta son paletot, en ajoutant :

— Il est bien long à aller chercher son tabac.

— Oh ! son tabac, je le connais, dit Mahoudeau, qui s’était mis à son buste, fouillant les favoris. Il est là, derrière le mur, son tabac… Quand il me voit