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LES ROUGON-MACQUART.

Claude, noyé de bien-être, buvait des petits verres de cognac, sans savoir. Depuis deux heures qu’on était là, une griserie montait, cette griserie hallucinante des liqueurs, au milieu de la fumée du tabac. On causait d’autre chose, il était question des grands prix que commençait à atteindre la peinture. Irma, qui ne parlait plus, gardait un bout éteint de cigarette aux lèvres, les yeux fixés sur le peintre. Et elle l’interrogea brusquement, le tutoyant comme dans un songe.

— Où l’as-tu prise, ta femme ?

Cela ne parut pas le surprendre, ses idées s’en allaient à l’abandon.

— Elle arrivait de province, elle était chez une dame, et honnête pour sûr.

— Jolie ?

— Mais oui, jolie.

Un instant, Irma retomba dans son rêve ; puis, avec un sourire :

— Fichtre ! quelle veine ! Il n’y en avait plus, on en a fait une pour toi, alors !

Mais elle se secoua, elle cria, en quittant la table :

— Bientôt trois heures… Ah ! mes enfants, je vous flanque à la porte. Oui, j’ai rendez-vous avec un architecte, je vais visiter un terrain près du parc Monceau, vous savez, dans ce quartier neuf, qu’on bâtit. J’ai flairé un coup par là.

On était revenu au salon, elle s’arrêta devant une glace, fâchée de se voir si rouge.

— C’est pour cet hôtel, n’est-ce pas ? demanda Jory. Tu as donc trouvé l’argent ?

Elle rabattait ses cheveux sur son front, elle semblait effacer de la main le sang de ses joues, rallongeait l’ovale de sa figure, se refaisait sa tête de