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LES ROUGON-MACQUART.

votre tableau de l’autre jour est vendu. Combien ? — Cinq cents francs. — Mais vous êtes fou ! il en valait douze cents. Et celui-ci, qui vous reste, combien ? — Mon Dieu ! je ne sais pas, mettons douze cents. — Allons donc, douze cents ! Vous ne m’entendez donc pas, mon cher ? il en vaut deux mille. Je le prends à deux mille. Et, dès aujourd’hui, vous ne travaillez plus que pour moi, Naudet ! Adieu, adieu, mon cher, ne vous prodiguez pas, votre fortune est faite, je m’en charge. — Le voilà parti, il emporte le tableau dans sa voiture, il le promène chez ses amateurs, parmi lesquels il a répandu la nouvelle qu’il venait de découvrir un peintre extraordinaire. Un de ceux-ci finit par mordre et demande le prix. — Cinq mille. — Comment ! cinq mille ! le tableau d’un inconnu, vous vous moquez de moi ! — Écoutez, je vous propose une affaire : je vous le vends cinq mille et je vous signe l’engagement de le reprendre à six mille dans un an, s’il a cessé de vous plaire. — Du coup, l’amateur est tenté : que risque-t-il ? bon placement au fond, et il achète. Alors, Naudet ne perd pas de temps, il en case de la sorte neuf ou dix dans l’année. La vanité se mêle à l’espoir du gain, les prix montent, une cote s’établit, si bien que, lorsqu’il retourne chez son amateur, celui-ci, au lieu de rendre le tableau, en paie un autre huit mille. Et la hausse va toujours son train, et la peinture n’est plus qu’un terrain louche, des mines d’or aux buttes Montmartre, lancées par des banquiers, et autour desquelles on se bat à coups de billets de banque !

Claude s’indignait, Jory trouvait ça très fort, lorsqu’on frappa. Bongrand, qui alla ouvrir, eut une exclamation.