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L’ŒUVRE.

— Tiens ! Naudet !… Justement, nous parlions de vous.

Naudet, très correct, sans une moucheture de boue, malgré le temps atroce, saluait, entrait avec la politesse recueillie d’un homme du monde, qui pénètre dans une église.

— Très heureux, très flatté, cher maître… Et vous ne disiez que du bien, j’en suis sûr.

— Mais pas du tout, Naudet, pas du tout ! reprit Bongrand d’une voix tranquille. Nous disions que votre façon d’exploiter la peinture était en train de nous donner une jolie génération de peintres moqueurs, doublée d’hommes d’affaires malhonnêtes.

Sans s’émouvoir, Naudet souriait.

— Le mot est dur, mais si charmant ! Allez, allez, cher maître, rien ne me blesse de vous.

Et, tombant en extase devant le tableau, les deux petites femmes qui cousaient :

— Ah ! mon Dieu ! je ne le connaissais pas, c’est une merveille !… Ah ! cette lumière, cette facture si solide et si large ! Il faut remonter à Rembrandt, oui, à Rembrandt !… Écoutez, cher maître, je suis venu simplement pour vous rendre mes devoirs, mais c’est ma bonne étoile qui m’a conduit. Faisons enfin une affaire, cédez-moi ce bijou… Tout ce que vous voudrez, je le couvre d’or.

On voyait le dos de Bongrand s’irriter à chaque phrase. Il l’interrompit rudement.

— Trop tard, c’est vendu.

— Vendu, mon Dieu ! Et vous ne pouvez vous dégager ?… Dites-moi au moins à qui, je ferai tout, je donnerai tout… Ah ! quel coup terrible ! vendu, en êtes-vous bien sûr ? Si l’on vous offrait le double ?

— C’est vendu, Naudet, et en voilà assez, hein !