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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/253

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L’ŒUVRE.

— Certainement, madame, deux rôties… Je l’adore, la bouillabaisse. D’ailleurs, vous la faites si bonne ! une merveille !

Tous, en effet, se pâmaient, Mahoudeau et Jory surtout, qui déclaraient n’en avoir jamais mangé de meilleure à Marseille ; si bien que la jeune femme, ravie, rose encore de la chaleur du fourneau, la grande cuiller en main, ne suffisait que juste à remplir les assiettes qui lui revenaient ; et même elle quitta sa chaise, courut en personne chercher à la cuisine le reste du bouillon, car la servante perdait la tête.

— Mange donc ! lui cria Sandoz. Nous attendrons bien que tu aies mangé.

Mais elle s’entêtait, demeurait debout.

— Laisse… Tu ferais mieux de passer le pain. Oui, derrière toi, sur le buffet… Jory préfère les tartines, la mie qui trempe.

Sandoz se leva à son tour, aida au service, pendant qu’on plaisantait Jory sur les pâtées qu’il aimait.

Et Claude, pénétré par cette bonhomie heureuse, comme réveillé d’un long sommeil, les regardait tous, se demandait s’il les avait quittés la veille, ou s’il y avait bien quatre années qu’il n’eût dîné là, un jeudi. Ils étaient autres pourtant, il les sentait changés, Mahoudeau aigri de misère, Jory enfoncé dans sa jouissance, Gagnière plus lointain, envolé ailleurs ; et, surtout, il lui semblait que Fagerolles, près de lui, dégageait du froid, malgré l’exagération de sa cordialité. Sans doute, leurs visages avaient vieilli un peu, à l’usure de l’existence ; mais ce n’était pas cela seulement, des vides paraissaient se faire entre eux, il les voyait à part, étrangers, bien