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L’ŒUVRE.

rompre. La vie avait-elle donc emporté déjà les soirées d’autrefois, si fraternelles dans leur violence, où rien ne les séparait encore, où pas un d’eux ne réservait sa part de gloire ? Aujourd’hui, la bataille commençait, chaque affamé donnait son coup de dents. La fissure était là, la fente à peine visible, qui avait fêlé les vieilles amitiés jurées, et qui devait les faire craquer, un jour, en mille pièces.

Mais Sandoz, dans son besoin d’éternité, ne s’apercevait toujours de rien, les voyait tels que rue d’Enfer, aux bras les uns des autres, partis en conquérants. Pourquoi changer ce qui était bon ? est-ce que le bonheur n’était pas dans une joie choisie entre toutes, puis éternellement goûtée ? Et, une heure plus tard, lorsque les camarades se décidèrent à s’en aller, somnolents sous l’égoïsme morne de Dubuche qui parlait sans fin de ses affaires, lorsqu’on eut arraché du piano Gagnière hypnotisé, Sandoz, suivi de sa femme, malgré la nuit froide, voulut absolument les accompagner jusqu’au bout du jardin, à la grille. Il distribuait des poignées de main, il criait :

— À jeudi, Claude !… À jeudi, tous !… Hein ? venez tous !

— À jeudi ! répéta Henriette, qui avait pris la lanterne et qui la haussait, pour éclairer l’escalier.

Et, au milieu des rires, Gagnière et Mahoudeau répondirent en plaisantant :

— À jeudi, jeune maître !… Bonne nuit, jeune maître !

Dehors, dans la rue Nollet, Dubuche appela tout de suite un fiacre, qui l’emporta. Les quatre autres remontèrent ensemble jusqu’au boulevard extérieur, presque sans échanger un mot, l’air étourdi d’être depuis si longtemps ensemble. Sur le boulevard,