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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/265

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L’ŒUVRE.

dévotions, au tabernacle reculé, au saint des saints.

— Oh ! Schumann, le désespoir, la jouissance du désespoir ! Oui, la fin de tout, le dernier chant d’une pureté triste, planant sur les ruines du monde !… Oh ! Wagner, le dieu, en qui s’incarnent des siècles de musique ! Son œuvre est l’arche immense, tous les arts en un seul, l’humanité vraie des personnages exprimée enfin, l’orchestre vivant à part la vie du drame ; et quel massacre des conventions, des formules ineptes ! quel affranchissement, révolutionnaire, dans l’infini !… L’ouverture du Tannhäuser, ah ! c’est l’alleluia sublime du nouveau siècle : d’abord, le chant des pèlerins, le motif religieux, calme, profond, à palpitations lentes ; puis, les voix des sirènes qui l’étouffent peu à peu, les voluptés de Vénus pleines d’énervantes délices, d’assoupissantes langueurs, de plus en plus hautes et impérieuses, désordonnées ; et, bientôt, le thème sacré qui revient graduellement comme une aspiration de l’espace, qui s’empare de tous les chants et les fond en une harmonie suprême, pour les emporter sur les ailes d’un hymne triomphal !

— Je ferme, monsieur, répéta le garçon.

Claude, qui n’écoutait plus, enfoncé lui aussi dans sa passion, acheva sa chope et dit très haut :

— Hé ! mon vieux, on ferme !

Alors, Gagnière tressaillit. Sa face enchantée eut une contraction douloureuse, et il grelotta, comme, s’il retombait d’un astre. Goulûment, il but sa bière ; puis, sur le trottoir, après avoir serré en silence la main de son compagnon, il s’éloigna, s’enfonça au fond des ténèbres.

Il était près de deux heures, lorsque Claude rentra rue de Douai. Depuis une semaine qu’il battait de