Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
LES ROUGON-MACQUART.

toute l’œuvre est construite… Un grand bonhomme ! un très grand bonhomme !

— Monsieur, vint dire le garçon, je ferme.

Et, comme Gagnière ne tournait même pas la tête, il alla réveiller le petit rentier, toujours endormi devant sa soucoupe.

— Je ferme, monsieur.

Frissonnant, le consommateur attardé se leva, tâtonna dans le coin sombre où il se trouvait, pour avoir sa canne ; et, quand le garçon la lui eut ramassée sous les chaises, il sortit.

— Berlioz a mis de la littérature dans son affaire. C’est l’illustrateur musical de Shakspeare, de Virgile et de Gœthe. Mais quel peintre ! le Delacroix de la musique, qui a fait flamber les sons, dans des oppositions fulgurantes de couleurs. Avec ça, la fêlure romantique au crâne, une religiosité qui l’emporte, des extases par-dessus les cimes. Mauvais constructeur d’opéra, merveilleux dans le morceau, exigeant trop parfois de l’orchestre qu’il torture, ayant poussé à l’extrême la personnalité des instruments, dont chacun pour lui représente un personnage. Ah ! ce qu’il a dit des clarinettes : « Les clarinettes sont les femmes aimées », ah ! cela m’a toujours fait couler un frisson sur la peau… Et Chopin, si dandy dans son byronisme, le poète envolé des névroses ! Et Mendelssohn, ce ciseleur impeccable, Shakspeare en escarpins de bal, dont les romances sans paroles sont des bijoux pour les dames intelligentes !… Et puis, et puis, il faut se mettre à genoux…

Il n’y avait plus qu’un bec de gaz allumé au-dessus de sa tête, et le garçon, derrière son dos, attendait, dans le vide noir et glacé de la salle. Sa voix avait pris un tremblement religieux, il en arrivait à ses