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LES ROUGON-MACQUART.

tapissières bariolées, défilaient avec une régularité mécanique de jouets d’enfants. Tout le fond s’encadrait là, dans les perspectives des deux rives : sur la rive droite, les maisons des quais, à demi cachées par un bouquet de grands arbres, d’où émergeaient, à l’horizon, une encoignure de l’Hôtel de ville et le clocher carré de Saint-Gervais, perdus dans une confusion de faubourg ; sur la rive gauche, une aile de l’Institut, la façade plate de la Monnaie, des arbres encore, en enfilade. Mais ce qui tenait le centre de l’immense tableau, ce qui montait du fleuve, se haussait, occupait le ciel, c’était la Cité, cette proue de l’antique vaisseau, éternellement dorée par le couchant. En bas, les peupliers du terre-plein verdissaient en une masse puissante, cachant la statue. Plus haut, le soleil opposait les deux faces, éteignant dans l’ombre les maisons grises du quai de l’Horloge, éclairant d’une flambée les maisons vermeilles du quai des Orfèvres, des files de maisons irrégulières, si nettes, que l’œil en distinguait les moindres détails, les boutiques, les enseignes, jusqu’aux rideaux des fenêtres. Plus haut, parmi la dentelure des cheminées, derrière l’échiquier oblique des petits toits, les poivrières du Palais et les combles de la Préfecture étendaient des nappes d’ardoises, coupées d’une colossale affiche bleue, peinte sur un mur, dont les lettres géantes, vues de tout Paris, étaient comme l’efflorescence de la fièvre moderne au front de la ville. Plus haut, plus haut encore, par-dessus les tours jumelles de Notre-Dame, d’un ton de vieil or, deux flèches s’élançaient, en arrière la flèche de la cathédrale, sur la gauche la flèche de la Sainte-Chapelle, d’une élégance si fine, qu’elles semblaient frémir à la brise, hautaine mâture du vaisseau