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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/284

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LES ROUGON-MACQUART.

rait pris au milieu de ce pont ? Ses yeux vagues se fixaient sur le vide, son visage s’empourprait d’un effort intérieur, on aurait dit le travail sourd d’une germination, un être qui naissait en lui, cette exaltation et cette nausée que les femmes connaissent. D’abord, cela parut pénible, confus, obstrué de mille liens ; puis, tout se dégagea, il cessa de se retourner dans le lit, il s’endormit du sommeil lourd des grandes fatigues.

Le lendemain, dès qu’il eut déjeuné, il se sauva. Et elle passa une journée douloureuse, car si elle s’était rassurée un peu, en l’entendant siffler au réveil des airs du Midi, elle avait une autre préoccupation, qu’elle venait de lui cacher, dans la crainte de l’abattre encore. Ce jour-là, pour la première fois, ils allaient manquer de tout ; une semaine entière les séparait du jour où ils touchaient la petite rente ; et elle avait dépensé son dernier sou le matin, il ne lui restait rien pour le soir, pas même de quoi mettre un pain sur la table. À quelle porte frapper ? comment lui mentir davantage, quand il rentrerait ayant faim ? Elle se décida à engager la robe de soie noire dont madame Vanzade lui avait fait cadeau, autrefois ; mais cela lui coûta beaucoup, elle tremblait de peur et de honte, à l’idée de ce Mont-de-Piété, cette maison publique des pauvres, où elle n’était jamais entrée. Une telle crainte de l’avenir la tourmentait maintenant, que, sur les dix francs qu’on lui prêta, elle se contenta de faire une soupe à l’oseille et un ragoût de pommes de terre. Au sortir du bureau d’engagement, une rencontre l’avait achevée.

Claude, justement, rentra très tard, avec des gestes gais, des yeux clairs, toute une excitation de joie secrète ; et il avait une grosse faim, il cria,