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LES ROUGON-MACQUART.

d’où il venait. Brusquement, il se leva, se rassit avec une feuille de papier et un crayon, se mit à jeter des traits rapides, sous la clarté ronde et vive qui tombait de l’abat-jour. Et ce croquis, fait de souvenir, dans le besoin qu’il avait de traduire au-dehors le tumulte d’idées battant son crâne, ne suffit même bientôt plus à le soulager. Cela le fouettait au contraire, toute la rumeur dont il débordait lui sortait des lèvres, il finit par dégonfler son cerveau en un flot de paroles. Il aurait parlé aux murs, il s’adressait à sa femme, parce qu’elle était là.

— Tiens ! c’est ce que nous avons vu hier… Oh ! superbe ! J’y ai passé trois heures aujourd’hui, je tiens mon affaire, oh ! quelque chose d’étonnant, un coup à tout démolir… Regarde ! je me plante sous le pont, j’ai pour premier plan le port Saint-Nicolas, avec sa grue, ses péniches qu’on décharge, son peuple de débardeurs. Hein ? tu comprends, c’est Paris qui travaille, ça ! des gaillards solides, étalant le nu de leur poitrine et de leurs bras… Puis, de l’autre côté, j’ai le bain froid, Paris qui s’amuse, et une barque sans doute, là, pour occuper le centre de la composition ; mais ça, je ne sais pas bien encore, il faut que je cherche… Naturellement, la Seine au milieu, large, immense… 

Du crayon, à mesure qu’il parlait, il indiquait les contours fortement, reprenant à dix fois les traits hâtifs, crevant le papier, tant il y mettait d’énergie. Elle, pour lui être agréable, se penchait, affectait de s’intéresser vivement à ses explications. Mais le croquis s’embrouillait d’un tel écheveau de lignes, se chargeait d’une si grande confusion de détails sommaires, qu’elle n’y distinguait rien.

— Tu suis, n’est-ce pas ?