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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/294

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LES ROUGON-MACQUART.

plafond lézardé jetaient aux épaules une glace de suaire. Dans les coins, d’autres statues, moins encombrantes, des plâtres faits avec passion, exposés, puis revenus là, faute d’acheteurs, grelottaient, le nez contre la muraille, rangés en une file lugubre d’infirmes, plusieurs déjà cassés, étalant des moignons, tous encrassés de poussière, éclaboussés de terre glaise ; et ces misérables nudités traînaient ainsi des années leur agonie, sous les yeux de l’artiste qui leur avait donné de son sang, conservées d’abord avec une passion jalouse, malgré le peu de place, tombées ensuite à une horreur grotesque de choses mortes, jusqu’au jour où, prenant un marteau, il les achevait lui-même, les écrasait en plâtras, pour en débarrasser son existence.

— Hein ? tu dis que nous avons deux heures, reprit Mahoudeau. Eh bien, je vais faire une flambée, ce sera plus prudent. 

Alors, en allumant le poêle, il se plaignit, d’une voix de colère. Ah ! quel chien de métier que cette sculpture ! Les derniers des maçons étaient plus heureux. Une figure que l’administration achetait trois mille francs, en avait coûté près de deux mille, le modèle, la terre, le marbre ou le bronze, toutes sortes de frais ; et cela pour rester emmagasinée dans quelque cave officielle, sous le prétexte que la place manquait : les niches des monuments étaient vides, des socles attendaient dans les jardins publics, n’importe ! la place manquait toujours. Pas de travaux possibles chez les particuliers, à peine quelques bustes, une statue bâclée au rabais de loin en loin, pour une souscription. Le plus noble des arts, le plus viril, oui ! mais l’art dont on crevait le plus sûrement de faim.