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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/295

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L’ŒUVRE.

— Ta machine avance ? demanda Claude.

— Sans ce maudit froid, elle serait terminée, répondit-il. Tu vas la voir. 

Il se releva, après avoir écouté ronfler le poêle. Au milieu de l’atelier, sur une selle faite d’une caisse d’emballage, consolidée de traverses, se dressait une statue que de vieux linges emmaillotaient ; et, gelés fortement, d’une dureté cassante de plis, ils la dessinaient, comme sous la blancheur d’un linceul. C’était enfin son ancien rêve, irréalisé jusque-là, faute d’argent : une figure debout, la Baigneuse dont plus de dix maquettes traînaient chez lui, depuis des années. Dans une heure de révolte impatiente, il avait fabriqué lui-même une armature avec des manches à balai, se passant du fer nécessaire, espérant que le bois serait assez solide. De temps à autre, il la secouait, pour voir ; mais elle n’avait pas encore bougé.

— Fichtre ! murmura-t-il, un air de feu lui fera du bien… C’est collé sur elle, une vraie cuirasse. 

Les linges craquaient sous ses doigts, se brisaient en morceaux de glace. Il dut attendre que la chaleur les eût dégelés un peu ; et, avec mille précautions, il la désemmaillotait, la tête d’abord, puis la gorge, puis les hanches, heureux de la revoir intacte, souriant en amant à sa nudité de femme adorée.

— Hein ? qu’en dis-tu ?  

Claude, qui ne l’avait vue qu’en ébauche, hocha la tête, pour ne pas répondre tout de suite. Décidément, ce bon Mahoudeau trahissait, en arrivait à la grâce malgré lui, par les jolies choses qui fleurissaient de ses gros doigts d’ancien tailleur de pierres. Depuis sa Vendangeuse colossale, il était allé en rapetissant ses œuvres, sans paraître s’en douter lui-