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LES ROUGON-MACQUART.

même, lançant toujours le mot féroce de tempérament, mais cédant à la douceur dont se noyaient ses yeux. Les gorges géantes devenaient enfantines, les cuisses s’allongeaient en fuseaux élégants, c’était enfin la nature vraie qui perçait sous le dégonflement de l’ambition. Exagérée encore, sa Baigneuse était déjà d’un grand charme, avec son frissonnement des épaules, ses deux bras serrés qui remontaient les seins, des seins amoureux, pétris dans le désir de la femme, qu’exaspérait sa misère ; et, forcément chaste, il en avait ainsi fait une chair sensuelle, qui le troublait.

— Alors, ça ne te va pas, reprit-il, l’air fâché.

— Oh ! si, si… Je crois que tu as raison d’adoucir un peu ton affaire, puisque tu sens de la sorte. Et tu auras du succès avec ça. Oui, c’est évident, ça plaira beaucoup. 

Mahoudeau, que des éloges pareils auraient consterné autrefois, sembla ravi. Il expliqua qu’il voulait conquérir le public, sans rien lâcher de ses convictions.

— Ah ! nom d’un chien ! ça me soulage, que tu sois content, car je l’aurais démolie, si tu m’avais dit de la démolir, parole d’honneur !… Encore quinze jours de travail, et je vendrai ma peau à qui la voudra, pour payer le mouleur… Dis ? ça va me faire un fameux salon. Peut-être une médaille !  

Il riait, s’agitait ; et, s’interrompant :

— Puisque nous ne sommes pas pressés, assieds-toi donc… J’attends que les linges soient dégelés complètement. 

Le poêle commençait à rougir, une grosse chaleur se dégageait. Justement, la Baigneuse, placée très près, semblait revivre, sous le souffle tiède qui lui