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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/300

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LES ROUGON-MACQUART.

l’huissier de service, à cause du retard. D’ailleurs, le mariage se trouva bâclé en quelques minutes, dans une salle absolument vide. Le maire ânonnait, les deux époux dirent le « oui » sacramentel d’une voix brève ; tandis que les témoins s’émerveillaient du mauvais goût de la salle. Dehors, Claude reprit le bras de Christine, et ce fut tout.

Il faisait bon marcher, par cette gelée claire. La bande revint tranquillement à pied, gravit la rue des Martyrs, pour se rendre au restaurant du boulevard de Clichy. Un petit salon était retenu, le déjeuner fut très amical ; et on ne dit pas un mot de la simple formalité qu’on venait de remplir, on parla d’autre chose tout le temps, comme à une de leurs réunions ordinaires, entre camarades.

Ce fut ainsi que Christine, très émue au fond, sous son affectation d’indifférence, entendit pendant trois heures son mari et les témoins s’enfiévrer au sujet de la bonne femme à Mahoudeau. Depuis que les autres savaient l’histoire, ils en remâchaient les moindres détails. Sandoz trouvait ça d’une allure étonnante. Jory et Gagnière discutaient la solidité des armatures, le premier sensible à la perte d’argent, le second démontrant avec une chaise qu’on aurait pu maintenir la statue. Quant à Mahoudeau, encore ébranlé, envahi d’une stupeur, il se plaignait d’une courbature, qu’il n’avait pas sentie d’abord : tous ses membres s’endolorissaient, il avait les muscles froissés, la peau meurtrie, comme au sortir des bras d’une amante de pierre. Et Christine lui lava l’écorchure de sa joue de nouveau saignante, et il lui semblait que cette statue de femme mutilée s’asseyait à la table avec eux, que c’était elle seule qui importait ce jour-là, elle seule qui passionnait Claude, dont