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LES ROUGON-MACQUART.

— Non, je n’ai pas sommeil.

— Ah ! je sais, c’est un reproche… Je t’ai dit vingt fois combien ça me contrarie que tu m’attendes. 

Et, la lampe morte, il s’allongea près d’elle, dans l’obscurité. Elle ne bougeait toujours pas, il bâilla deux fois, écrasé de fatigue. Tous deux restaient éveillés, mais ils ne trouvaient rien, ils ne se disaient rien. Lui, refroidi, les jambes gourdes, glaçait les draps. Enfin, au bout de réflexions vagues, comme le sommeil le prenait, il s’écria en sursaut :

— Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’elle ne se soit pas abîmé le ventre, oh ! un ventre d’un joli !

— Qui donc ? demanda Christine, effarée.

— Mais la bonne femme à Mahoudeau. 

Elle eut une secousse nerveuse, elle se retourna, enfouit la tête dans l’oreiller ; et il fut stupéfait de l’entendre éclater en larmes.

— Quoi ? tu pleures !  

Elle étouffait, elle sanglotait si fort, que le matelas en était secoué.

— Voyons, qu’est-ce que tu as ? Je ne t’ai rien dit… Ma chérie, voyons !  

À mesure qu’il parlait, il devinait à présent la cause de ce gros chagrin. Certes, un jour comme celui-là, il aurait dû se coucher en même temps qu’elle ; mais il était bien innocent, il n’avait pas seulement songé à ces histoires. Elle le connaissait, il devenait une vraie brute, quand il était au travail.

— Voyons, ma chérie, nous ne sommes pas d’hier ensemble… Oui, tu avais arrangé ça, dans ta petite tête. Tu voulais être la mariée, hein ?… Voyons, ne pleure plus, tu sais bien que je ne suis pas méchant. 

Il l’avait prise, elle s’abandonna. Alors ils eurent beau s’étreindre, la passion était morte. Ils le com-