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L’ŒUVRE.

prêt. Elle le regarda mettre au carreau la nouvelle esquisse, debout derrière lui, jusqu’à défaillir de fatigue, se laissant ensuite glisser par terre, restant là, accroupie, à regarder encore.

Ah ! comme elle aurait voulu le reprendre à cette peinture qui le lui avait pris ! C’était pour cela qu’elle se faisait sa servante, heureuse de se rabaisser à des travaux de manœuvre. Depuis qu’elle rentrait dans son travail, côte à côte ainsi tous les trois, lui, elle et cette toile, un espoir la ranimait. S’il lui avait échappé, lorsqu’elle pleurait toute seule rue de Douai, et qu’il s’attardait rue Tourlaque, acoquiné et épuisé comme chez une maîtresse, peut-être allait-elle le reconquérir, maintenant qu’elle était là, elle aussi, avec sa passion. Ah ! cette peinture, de quelle haine jalouse elle l’exécrait ! Ce n’était plus son ancienne révolte de petite bourgeoise peignant l’aquarelle, contre cet art libre, superbe et brutal. Non, elle l’avait compris peu à peu, rapprochée d’abord par sa tendresse pour le peintre, gagnée ensuite par le régal de la lumière, le charme original des notes blondes. Aujourd’hui, elle avait tout accepté, les terrains lilas, les arbres bleus. Même un respect commençait à la faire trembler devant ces œuvres qui lui avaient paru si abominables jadis. Elle les voyait puissantes, elle les traitait en rivales dont on ne pouvait plus rire. Et sa rancune grandissait avec son admiration, elle s’indignait d’assister à cette diminution d’elle-même, à cet autre amour qui la souffletait dans son ménage.

Ce fut d’abord une lutte sourde de toutes les minutes. Elle s’imposait, glissait à chaque instant ce qu’elle pouvait de son corps, une épaule, une main, entre le peintre et son tableau. Toujours, elle de-