Aller au contenu

Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
L’ŒUVRE.

cipiter la catastrophe, si elle bougeait un doigt. Et, en effet, il eut brusquement un cri de douleur, il jura dans un éclat de tonnerre.

— Ah ! nom de Dieu de nom de Dieu !

Il avait jeté sa poignée de brosses du haut de l’échelle. Puis, aveuglé de rage, d’un coup de poing terrible, il creva la toile.

Christine tendait ses mains tremblantes.

— Mon ami, mon ami…

Mais, quand elle eut couvert ses épaules d’un peignoir, et qu’elle se fût approchée, elle éprouva au cœur une joie aiguë, un grand élancement de rancune satisfaite. Le poing avait tapé en plein dans la gorge de l’autre, un trou béant se creusait là. Enfin, elle était donc tuée !

Immobile, saisi de son meurtre, Claude regardait cette poitrine ouverte sur le vide. Un immense chagrin lui venait de la blessure, par où le sang de son œuvre lui semblait couler. Était-ce possible ? était-ce lui qui avait assassiné ainsi ce qu’il aimait le plus au monde ? Sa colère tombait à une stupeur, il se mit à promener ses doigts sur la toile, tirant les bords de la déchirure, comme s’il avait voulu rapprocher les lèvres d’une plaie. Il étranglait, il bégayait, éperdu d’une douleur douce, infinie :

— Elle est crevée… elle est crevée…

Alors, Christine fut remuée jusqu’aux entrailles, dans sa maternité pour son grand enfant d’artiste. Elle pardonnait comme toujours, elle voyait bien qu’il n’avait plus qu’une idée, raccommoder à l’instant la déchirure, guérir le mal ; et elle l’aida, ce fut elle qui tint les lambeaux, pendant que, par derrière, il collait un morceau de toile. Quand elle se rhabilla, l’autre était là de nouveau, immortelle, ne