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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/330

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LES ROUGON-MACQUART.

gardant à la place du cœur qu’une mince cicatrice, qui acheva de passionner le peintre.

Dans ce déséquilibrement qui s’aggravait, Claude en arrivait à une sorte de superstition, à une croyance dévote aux procédés. Il proscrivait l’huile, en parlait comme d’une ennemie personnelle. Au contraire, l’essence faisait mat et solide ; et il avait des secrets à lui qu’il cachait, des solutions d’ambre, du copal liquide, d’autres résines encore, qui séchaient vite et empêchaient la peinture de craquer. Seulement, il devait ensuite se battre contre des embus terribles, car ses toiles absorbantes buvaient du coup le peu d’huile des couleurs. Toujours la question des pinceaux l’avait préoccupé : il les voulait d’un emmanchement spécial, dédaignant la marte, exigeant du crin séché au four. Puis, la grosse affaire était le couteau à palette, car il l’employait pour les fonds, comme Courbet ; il en possédait une collection, de longs et flexibles, de larges et trapus, un surtout, triangulaire, pareil à celui des vitriers, qu’il avait fait fabriquer exprès, le vrai couteau de Delacroix. Du reste, il n’usait jamais du grattoir, ni du rasoir, qu’il trouvait déshonorants. Mais il se permettait toutes sortes de pratiques mystérieuses dans l’application du ton, il se forgeait des recettes, en changeait chaque mois, croyait avoir brusquement découvert la bonne peinture, parce que, répudiant le flot d’huile, la coulée ancienne, il procédait par des touches successives, béjoitées, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la valeur exacte. Une de ses manies avait longtemps été de peindre de droite à gauche : sans le dire, il était convaincu que cela lui portait bonheur. Et le cas terrible, l’aventure où il s’était détraqué encore, venait d’être sa théorie