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L’ŒUVRE.

Claude, directement, rentra rue Tourlaque, dans la secousse de cette bonne fortune. Il en éprouvait un singulier mélange de vanité et de remords, qui pendant deux jours le rendit indifférent à la peinture, rêvassant qu’il avait peut-être bien manqué sa vie. D’ailleurs, il était si étrange à son retour, si débordant de sa nuit, que, Christine l’ayant questionné, il balbutia d’abord, puis avoua tout. Il y eut une scène, elle pleura longtemps, pardonna encore, pleine d’une indulgence infinie pour ses fautes, s’inquiétant maintenant, comme si elle eût craint qu’une pareille nuit ne l’eût trop fatigué. Et, du fond de son chagrin, montait une joie inconsciente, l’orgueil qu’on ait pu l’aimer, l’égaiement passionné de le voir capable d’une escapade, l’espoir aussi qu’il lui reviendrait, puisqu’il était allé chez une autre. Elle frissonnait dans l’odeur de désir qu’il rapportait, elle n’avait toujours au cœur qu’une jalousie, cette peinture exécrée, à ce point qu’elle l’aurait plutôt jeté à une femme.

Mais, vers le milieu de l’hiver, Claude eut une nouvelle poussée de courage. Un jour, rangeant de vieux châssis, il retrouva, tombé derrière, un ancien bout de toile. C’était la figure nue, la femme couchée de Plein air, qu’il avait seule gardée, en la coupant dans le tableau, lorsque celui-ci lui était revenu du Salon des Refusés. Et, comme il la déroulait, il lâcha un cri d’admiration.

— Nom de Dieu ! que c’est beau !

Tout de suite, il la fixa au mur par quatre clous ; et, dès lors, il passa des heures à la contempler. Ses mains tremblaient, un flot de sang lui montait au visage. Était-ce possible qu’il eût peint un tel morceau de maître ? Il avait donc du génie, en ce temps-